2021, le premier millésime sous le signe du dérèglement climatique ?

2021, le premier millésime sous le signe du dérèglement climatique ?

La technicité de ce millésime découle des différents aléas climatiques et sanitaires qui ont conduit à des maturités hétérogènes et longues à atteindre, à des équilibres atypiques et à une récolte historiquement faible.

En premier lieu, une réflexion très précoce sur les qualités de vin à produire avec les rares raisins était nécessaire. Cela a demandé à faire un point exhaustif sur les stocks en bouteille, vrac et les exigences commerciales.

Au vignoble, il a fallu ensuite redoubler d’attention, d’observation, de persévérance et de patience pour mener au mieux la récolte et préparer la vigne aux années futures.

En cave enfin, il a fallu redoubler d’ingéniosité et de réflexion pour faire les bons choix en adaptant les prises de décisions aux volumes disponibles en cuverie. Parfois certains ingrédients n’ont pas pu être réalisés, et parfois de nouvelles qualités ont été créées, signatures d’un millésime auquel il a fallu constamment s’adapter.

UN DÉBUT DE PRINTEMPS MARQUÉ PAR LE CHAUD ET LE FROID

Tout a commencé par un hiver sec qui n’a pas permis de recharger les sols, suivi d’un mois de mars tout aussi sec. Puis, fin mars a été marqué par une semaine particulièrement chaude, en particulier le 31 mars, qui est la journée la plus chaude enregistrée au mois de mars depuis 1900. Ces températures ont favorisé une végétation plutôt précoce avec des bourgeons bien débourrés et quelques jeunes pousses aux feuilles déjà étalées début avril.

Quand subitement, dans la nuit du 7 au 8 avril, un épisode de gel massif a frappé l’ensemble du pays avec des températures atteignant les -7 à -8°C pendant plusieurs heures.

Tous les vignobles ont subi des dégâts. Pour ce qui nous concerne, depuis Saint Chinian au nord du Gard en passant par Pezénas et le Pic Saint Loup ; en Vallée du Rhône le sud du Comtat Venaissin a été le plus sinistré. Il a fallu plusieurs semaines pour établir l’étendue des dommages car bien que les pousses nécrosées soient rapidement visibles, les bourgeons touchés sont plus difficiles à déceler rapidement. Parfois les premières repousses ont mis plus d’un mois à poindre.

IMPLIQUANT DE FORTES CONSÉQUENCES TECHNIQUES AU VIGNOBLE

Les pertes subies lors de cet épisode de gel sont immenses, les bourgeons qui sont repartis ne portaient que peu de grappes, voire aucune. Et pourtant ces jeunes pousses survivantes ont du être particulièrement bichonnées. Il a fallu en prendre grand soin en déployant beaucoup d’efforts pour l’épanouissement d’une végétation saine et abondante. Efforts indispensables à la formation des bois de l’an prochain et aux mises en réserve de la vigne. Il a fallu par exemple adapter la protection phytosanitaire, les apports d’engrais foliaires et l’irrigation, parfois sur des vignes sans récolte.

UN PRINTEMPS TOUJOURS PLUS CONTRAIGNANT

La suite des conditions météorologiques est tout aussi notable, avec un mois d’avril particulièrement frais (le thermomètre a de nouveau frôlé les 0°C autour des 12 et 13 avril). Dans l’Hérault par exemple l’écart de la moyenne des températures en avril varie entre -0,5°C à -2,4°C. Le mois de mai a été assez froid également, avec des maximales journalières dépassant rarement les 20°C.

Cette période de pré-floraison est cruciale, températures fraîches et carences azotées sont des facteurs de coulure. On comprend alors combien le mois de mai a été défavorable à une bonne floraison, entrainant un phénomène de coulure général dans le vignoble méridional qui s’est ajouté à la perte due au gel.

UN ÉTÉ FRAIS ET PLUVIEUX

Les mois de juin, juillet et début août ont été marqués par des orages réguliers, sur des cumuls très significatifs (entre 20mm et 40mm par mois selon les secteurs). Ces cumuls sont variables, moins marqués en Sud Vaucluse ; et parfois accompagnés de grêle (en juin sur le Haut des Terrasses du Larzac par exemple).

Pluviométrie 2021- Station LNA (Puissalicon – 34)

On note un mois de juillet plutôt frais (sur l’Hérault les températures moyennes sont inférieures à la normale de presque 1°C). Et un mois d’août tout aussi frais à partir du 15, avec des nuits fraiches. C’est un facteur de qualité reconnu pour la maturation, ce qui s’est vérifié dans les moûts, notamment avec des teneurs élevées en acide malique. De plus, les pluies utiles en juillet et août ont bien fait gonfler les raisins.

Relevé des températures moyennes 2021- Station LNA (Puissalicon – 34)

Les températures fraiches ont limité le développement du mildiou, la pression était globalement faible. Pour l’oïdium par contre le mois de juillet a été très favorable avec de fortes poussées sur cette période.

Nous noterons surtout le développement toujours plus important des du ravageur Cryptoblabes, dont le développement est favorisé par une météo humide. Cette année les dégâts ont été observés de Séguret dans le Vaucluse jusqu’à St Chinian. Le cycle tardif de ce papillon devient problématique pour les vinifications tardives.

DES MATURITÉS QUALITATIVES MAIS TARDIVES

Le mois de septembre a été très perturbé , avec des entrées maritimes très fréquentes, et des pluies très irrégulières et très localisées. Si l’ouest de Montpellier a été épargné par les fortes pluies, d’autres secteurs ont été très arrosés, avec des épisodes cévenols marqués. On peut ainsi relever les épisodes des 14 septembre (150 à 200 mm à Vacquières dans le Pic Saint Loup), 15 septembre (66 mm à Orange et grêle sur l’ouest de Montpellier), 25 septembre (120 mm à Ales, 70 mm à Orange), 3 et 4 octobre (130 mm sur Orange).

Compte-tenu du cycle végétatif tardif et de cette météo, les maturités ont été logiquement plus tardives qu’en 2020. Il a fallu là aussi redoubler de technicité pour savoir attendre le moment idéal de récolte en gérant la balance entre bonne maturité, objectif visé et état sanitaire.

Une fois les raisins en cave, l’exercice a continué d’être ingénieux… Les petits volumes obligeant à réfléchir à des regroupements de qualités ou à inventer de nouveaux itinéraires techniques afin d’isoler et de vinifier séparément les meilleurs raisins. Par ailleurs, dans cette situation de maturités atypiques, les extractions ont dû parfois être plus vigoureuses que les années passées sur les bases ambitieuses.

Grâce à ces réflexions bien menées en amont et parfois adaptées en cours de vendanges, les objectifs qualitatifs devraient être atteints.

BILAN QUANTITATIF ET QUALITATIF

Au niveau national, selon des estimations établies le 1er Octobre 2021 (Agreste), la production viticole s’établirait à 34 millions d’hectolitres, soit un niveau inférieur de 27 % à celui de 2020 et de 22 % à celui de la moyenne des 5 dernières années. La production est historiquement faible, inférieure à celle de 1991 et 2017 (années gélives). Pour le Languedoc, la production estimée est de 8,2 millions d’hectolitres, en baisse de 31 % par rapport à la moyenne des 5 dernières années. Elle est de 4,2 millions d’hectolitres dans le Sud-est (-17 %).

En cave, les fermentations se sont bien déroulées avec peu de soucis de fin de sucres : richesse en sucres plus modérée, raisins juteux. Les enrichissements utilisés à bon escient ont permis d’équilibrer des maturités parfois un peu faibles. Les maturités phénoliques n’ont pas pu être atteintes partout, globalement les profils sont plutôt frais et tendus.

Les fermentations malolactiques sont également quasiment terminées à ce jour. On notera une production d’acidité volatile plus importante que d’habitude, certainement due aux teneurs initiales plus importantes en acide malique, mais aussi dans certains cas à la présence accrue d’acide citrique résultant de la dégradation sanitaire (moisissures de type Aspergillus notamment)

Les vins sont délicats, frais et très aromatiques en blancs et rosés ; et avec des charges tanniques modérées en rouge. Généralement moins concentrés que d’habitude, ils sont francs et généreux. Les séances d’assemblages déjà réalisées confirment les caractéristiques de ce millésime atypique.

Une fois de plus, les approches vigneronnes réfléchies en amont, avec des prises de risque raisonnables, une grande réactivité et des improvisations adaptatives et créatives ont porté leurs fruits. C’est l’essence même du travail du vigneron ou de la vigneronne.