2024 : un millésime souvent confidentiel, qui signe un retour à la fraîcheur

2024 : un millésime souvent confidentiel, qui signe un retour à la fraîcheur

Cette année 2024 restera dans les mémoires des vignerons dans le vignoble français, avec une récolte historiquement basse (les dernières prévisions d’Agreste font état de 37M hL, soit moins que la récolte du gel de 2021). Mais ces chiffres cachent comme souvent de grandes disparités. Si le Languedoc (production de 10,127 MhL, -9 % par rapport à 2024) et le sud-est (4,47 MhL, -11 % par rapport à 2024) n’échappent pas à cette baisse de récolte, les conditions météorologiques du printemps, et surtout la météo en septembre, ont été un peu plus clémentes qu’ailleurs.

L’autre fait marquant a été le caractère plutôt « tardif » (ou en tout cas normal !) de la vendange. Ce que l’on avait oublié depuis les millésimes chauds et précoces qu’ont été 2019, 2020, 2022 et 2023. Et enfin comme l’an passé les stocks en cave ont obligé à quelques acrobaties pour rentrer toute la vendange.

RETOUR SUR LES GRANDES LIGNES DE LA CAMPAGNE 2024

Comme en 2022, les pluviométries de l’automne 2023 ont été déficientes, sans épisode significatif de recharge des sols. Mais contrairement au printemps 2023, les précipitations du printemps ont été abondantes, avec comme souvent depuis quelques années un gradient décroissant de l’est à l’ouest. Il a plu ainsi 250 mm à Nîmes en mars quand il tombait 80 mm à Beziers.

La première quinzaine d’avril a été douce, et les végétations ont démarré assez vite avec ces pluies printanières, avec 6 à 10 jours d’avance selon les secteurs par rapport à 2023. Mais dès la mi-avril les températures se sont refroidies, avec quelques gelées localisées du 22 au 24 avril (Ventoux, Vallée de l’Hérault). Le mois de mai a suivi la même tendance, avec sur l’Hérault par exemple un écart à la moyenne de -0,1 à -0,8°C.

Si l’arrivée des pluies après des années 2022 et 2023 déficientes reste positive, les conséquences au vignoble ont été doubles :

– sur le plan physiologique, la floraison fin mai-début juin s’est effectuée dans un contexte frais et humide, facteurs favorables à la coulure et au millerandage, que l’on a observé plus ou moins fortement selon les cépages (coulure sur les grenaches ou les chardonnay, millerandage sur merlot).

– sur le plan sanitaire, la lutte a été très serrée contre le mildiou. Avec des pertes de récolte significatives sur les grenaches notamment dans le Gard ou le Vaucluse (chez les vignerons bio mais parfois conventionnels aussi).

 

coulure sur grenache                                                     mildiou (rot brun)

Dernière invitée du millésime, la Cryptoblabes, qui a pu localement faire des dégâts et accélérer la vendange. Mais elle est mieux connue désormais, et les piégeages en saison avaient permis, notamment sur les zones littorales, mais parfois largement dans les Coteaux (Terrasses du Larzac) d’anticiper les traitements en août pour protéger la maturation.

UNE MATURATION EN DOUCEUR

L’été a été sec, avec quelques dégradations orageuses autour de la mi-juillet et de la mi-août. Coté températures, après un démarrage de saison en juillet, les températures augmentent sur le mois pour entrer dans une période de chaleur du 29 juillet au 10 août (vigilance canicule jaune à orange sur l’Hérault). La 2ème partie du mois d’août retrouve des moyennes de saison, chaudes à très chaudes.

Le pic de chaleur de début août, à fin véraison, plus tôt qu’en 2023 (40°C atteints du 20 au 25 août) n’a pas entraîné les phénomènes de concentration vus en 2023.

En septembre, une météo maussade et plutôt fraîche s’est installée : écart à la moyenne par exemple sur l’Hérault de -0,7 à -2,1 °C, avec des épisodes de pluies réguliers (du 4 au 7 septembre, du 19 au 22), plus ou moins abondants selon les secteurs (autour du 5 septembre entre 25 et 40 mm à Saint-Chinian, 10 à 20 mm à Faugères, 50 à 70 mm au Pic-Saint-Loup, 70 mm en Côtes-du-Rhône et Gigondas).

Quelques jours bienvenus de vent du nord à partir du 22 septembre, mais sous des températures fraîches, ont quand même permis d’avancer la cueillette et les maturités et de tenir des états sanitaires parfois fragiles.

DES DATES DE RECOLTES NORMALES, VOIRE TARDIVES

Nous étions habitués depuis plusieurs années à rentrer les premiers raisins avant le 15 aout. Les volumes vendangés tôt cette année ont été tout de même très limités : quelques muscats, ou d’autres raisins par crainte de phénomènes de concentration vécus en 2023. Mais ce cas de figure ne s’est que rarement présenté. Les maturités ont été étalées, les chardonnays notamment se sont fait attendre et nombre de ces parcelles ont été vendangées en septembre!

Le rythme de récolte a été assez saccadé, les rentrées finalement assez lentes et étalées, ce qui a permis de travailler “tranquillement” en cave, entrainant toutefois de vrais problèmes de logistique de récolte et de maintien des équipes pour la cueillette manuelle.

Les vendanges ont “réellement” démarré début septembre.

Les températures fraîches aussi bien en journée que la nuit ont permis de préserver les précurseurs aromatiques et les teneurs en acide malique. Les raisins sont rentrés aussi beaucoup plus frais en cave, ce qui a limité les phénomènes oxydatifs, les extractions de couleur et de tanins lors des pressurage directs. Les raisins étaient aussi plus juteux, il en résulte donc un interventionnisme œnologique moins poussé, différence majeure avec 2023! Les blancs et rosés sont globalement moins consistants, aromatiques, avec des TAV plus modérés qu’en 2023.

Les équilibres acides ne reflètent en revanche pas la relative fraîcheur du millésime. Malgré des teneurs en acide malique assez hautes, les acidités totales ont du faire l’objet de corrections assez importantes en vinification.

C’est un millésime qui a particulièrement réussi aux roussannes et aux clairettes, souvent aromatiques et harmonieuses. Les viogniers expriment plus de fraîcheur, dans des registres plutôt floraux. Moins d’opulence sur chardonnays mais de beaux équilibres en bouche. Les cépages thiolés (sauvignon, colombard, rolle) montrent de l’éclat, tout comme les grenaches.

Les couleurs des rosés ont été plus faciles à gérer, moins soutenues à la sortie du pressoir qu’en 2023. Comme en blancs, des corrections d’acidité ont du être faites. L’enrichissement a pu être de mise sur certains cépages, comme le cinsault qui a parfois bien “gonflé” après les pluies et donné des rendements généreux.

UN MILLESIME D’ELEGANCE SUR LES ROUGES

Comme pour les cépages blancs, les maturités ont été moins” explosives” qu’en 2023, avec très peu de flétrissements. La météo fraîche de septembre a permis d’obtenir un meilleur alignement des maturités technologiques et phénoliques. On obtient ainsi des profils mûrs malgré des TAV modérés, notamment sur les syrahs. Cela a beaucoup perturbé dans un premier temps mais c’est tout ce que l’on souhaite : ramasser mûr sans le désavantage de l’alcool excessif (sujet récurrent s’il en est…)!

ll a fallu pousser les maturités, être patients pour atteindre des concentrations “suffisantes”. Les IPT sont moins concentrés qu’en 2023 mais avec de belles qualités de tanins, car les maturités phénoliques ont été atteintes dans la majeure partie des cas.

On retiendra tout d’abord la grande fermentescibilité de ce millésime, plus particulièrement car 2023 a été presque traumatisant du point de vue des arrêts de fermentations ! Les moûts étaient bien pourvus en azote grâce au printemps humide. Les concentrations en sucres moins importantes et des raisins globalement moins concentrés ont facilité le travail des levures.

A l’ouest, La récolte a été étalée, comme pour les blancs. Les secteurs les plus tardifs de l’Hérault (Faugères, Pic S Loup) ont démarré autour du 10 septembre. Les derniers mourvèdres et cabernet sauvignon sont rentrés dans le deuxième quinzaine d’octobre alors qu’on avait souvent fini au 15 septembre l’année dernière.

Les merlots sont peut-être ceux qui ont vécu le millésime le plus difficilement, notamment quand les vignes étaient impactées par le mildiou. On peut ainsi voir certaines cuves avec des maturités limitées et des aromatiques marquées par des grains secs. 2024 est en revanche l’année du cabernet sauvignon ! Ce cépage a globalement bien mûri, l’expression aromatique est fraîche sans être végétale et les tannins de belle qualité.

Les syrahs paraissent plus septentrionales cette année, avec des équilibres moins opulents mais beaucoup d’élégance et de fraîcheur. Les grenaches expriment beaucoup de fruit et des perceptions alcooleuses moins marquées qu’en 2023. Mourvèdre et cinsault sont un peu plus hétérogènes selon les secteurs et les pluies de septembre. Joli millésime pour les carignans, colorés et aromatiques, avec de belle fraîcheur en bouche.

En vallée du Rhône enfin, l’année est aussi tardive mais sans excès. Le fait le plus marquants reste probablement la faible quantité de grenache noir récoltée. Le cépage majoritaire de la zone a été touché fortement par le mildiou, impactant directement les volumes produits. Il a fallu être créatif en cave pour maximiser l’impression de grenache dans les vins : percolage, pré-assemblage avec des cépages aromatiquement proches comme cinsault, caladoc ou marselan. Malgré tout, on peut penser que le style général de ces appellations fera la part belle à la syrah cette année.

La campagne d’assemblage, qui semble démarrer chaque année un peu plus tôt…, bat son plein. Avec à la clé des dégustations de vins déjà bien en place : de beaux éclats aromatiques sur les blancs et rosés, et des rouges certes plus hétérogènes en maturité et concentration selon les zones, mais avec des structures tanniques déjà bien en place et de beaux fruités.

Un millésime sur la finesse, définitivement !