La coque et le bacille ou la révolution des bactéries lactiques

La coque et le bacille ou la révolution des bactéries lactiques

En 1863, Napoleon III missionna Pasteur sur les maladies du vin qui portaient alors préjudice à la commercialisation des vins, notamment avec l’Angleterre. On parle à l’époque de vins filants, de la maladie de la tourne, de la graisse, de l’amer. Ces recherches aboutissent entre autre à l’isolation des premières bactéries œnologiques et à la pasteurisation. Si l’hygiène et une meilleure conduite des fermentations ont permis de résoudre ces problèmes, on voit réapparaitre depuis quelques années, et à un rythme un peu plus soutenu depuis deux ans, des dérives liées aux bactéries lactiques.

Nous vous proposons ici de faire un tour d’horizon sur les différentes espèces de bactéries lactiques présentes dans les vins, les voies métaboliques dont elles disposent et les maladies qu’elles engendrent.

Les bactéries lactiques sont des ferments intervenant dans différentes branches de l’agroalimentaire : yaourt, fromage, charcuterie, … Elles présentent une grande diversité génétique. Dans le vin, trois genres se retrouvent : Œnococcus et Pediococcus (en forme de coques) et Lactobacillus (en forme de bacille). À l’intérieur des genres Pediococcus et Lactobacillus, on retrouve une grande diversité d’espèces. Œnococcus n’est représenté à priori que par une seule espèce dans le vin : Œnococcus œni. Le pH est probablement le paramètre qui a la plus grande incidence sur cette diversité : plus le pH augmente, plus la diversité de souches capables de se développer est élevée.

Toutes les bactéries lactiques sont capables de transformer les sucres en acide lactique. C’est pour la transformation de l’acide malique en acide lactique qu’elles sont utilisées en œnologie (fermentation malolactique) mais elles peuvent également dégrader d’autres composants du vin, entrainant différentes altérations. Le tableau ci-dessous synthétise les différentes voies métaboliques et leur incidence sur les vins.

Si de nombreuses voies métaboliques et altérations existent, nous nous attardons un peu ici sur les problèmes le plus récurrents que nous rencontrons au laboratoire.

Piqûre lactique à partir des sucres non fermentescibles

On observe, principalement sur des vins rouges à pH élevé, des progressions d’acide lactique, avec plus ou moins de progression d’acidité volatile. Ces évolutions semblent majoritairement dues à des contaminations par des lactobacilles. Ces vins sont à priori « secs » à l’analyse. Mais dans tout vin, il y a présence de sucres à 5 atomes de carbone, non dosés en routine. Ces sucres sont consommés par la voie hétérofermentaire pour donner de l’acide lactique et de l’acide acétique. Ce phénomène peut être amplifié en barrique car le bois apporte des pentoses, comme le xylose notamment.

Goût de souris

C’est une altération gustative perçue en fin de bouche. Sa perception est liée à la fois à la présence de certaines molécules formées par les bactéries lactiques (les pyridines), au niveau d’oxydation du vin et au pH. En effet, ces molécules sont plus ou moins volatiles selon le pH auquel elles se trouvent. À pH bas, comme dans le vin, elles ne se sentent bas. Le mélange du vin avec la salive fait remonter le pH et ces molécules deviennent alors perceptibles. Au-delà de la composition du vin, le pH salivaire entraîne une différence dans la perception de ce défaut selon les personnes.

Si Œnococcus œni semble majoritairement à l’origine de ces évolutions, les Brettanomyces pourraient ne pas être totalement étrangères à la problématique, avec des souches un peu différentes de celles « classiquement » observées : cela se traduit notamment par un ratio plus faible entre la production d’éthylphénol et d’éthylgaïacol.

Il est souvent difficile de déterminer le moment exact de la contamination car le niveau d’oxydoréduction (et donc de perception de ces molécules) fluctue au cours de la vinification.

Ce défaut se retrouve principalement dans les vins sans sulfites, probablement car le SO2 a un rôle important sur le potentiel d’oxydoréduction du vin (le SO2 est un réducteur puissant). Les composés phénoliques sont un autre élément important dans les équilibres RedOx. Ainsi, les vins les plus riches en tanins semblent moins sujets au « goût de souris » que les rouges plus légers, les blancs ou les rosés.

Phénols volatils

Les phénols volatils sont les composés aromatiques responsables des notes d’écurie, de cuir ou du défaut plus communément qualifié de « bretté ». Cette altération est attribuée à une espèce de levure appelée Brettanomyces bruxellensis qui, à partir de composés phénoliques (les acides cinnamiques), synthétisent ces molécules (mal)odorantes.

Certaines bactéries peuvent transformer les acides cinnamiques (acides p-coumarique et férulique) en vinyl-phénols. Seules quelques souches ont été identifiées comme ayant la capacité de réduire ensuite les vinyl-phénols et éthylphénols. Mais l’enrichissement potentiel du vin en vinyl-phénols participe potentiellement au caractère phénolé car Brettanomyces peut directement transformer ces composés en phénols volatils.

Le cas d’un vin contaminé en phénols volatils par des bactéries lactiques uniquement n’est pas impossible mais tout de même très peu probable.

MAIS ALORS, ON FAIT QUOI ?

Il parait donc de plus en plus délicat d’élever sans écueil, les vins rouges notamment. Le réchauffement climatique entraine une hausse des pH et offre ainsi un milieu plus favorable à la diversité microbienne tout en limitant l’efficacité du SO2. Il faut rester vigilant vis-à-vis des Brettanomyces, se méfier des bactéries lactiques, tout en limitant les doses de SO2. La quadrature du cercle ? Nous vous donnons quand même quelques pistes pour garder espoir, en tout cas en ce qui concerne les bactéries lactiques !

Stratégie curative

En cas d’altération avérée, il faut arriver à diminuer, voire éliminer la charge bactérienne.

Le sulfitage est souvent le premier geste auquel on a recours. Il peut être complété par un collage pour entrainer une partie de la charge microbienne dans les lies.

Les filtrations serrées comme la filtration tangentielle mais aussi la flash-pasteurisation sont des recours « physiques » qui ont prouvé leur efficacité. Leur coût et leur mise en œuvre peuvent toutefois être des freins à leur utilisation.

L’acide fumarique, nouvellement autorisé en œnologie, est un antibactérien spécifique des bactéries lactiques, tout comme le lysozyme, utilisé depuis plus longtemps dans le monde du vin (tous deux interdits en bio). Certaines formulations de chitosan peuvent également avoir une efficacité contre les bactéries.

Stratégie préventive

Le sulfitage est l’outil de base de maitrise des populations bactériennes. En sulfitant la vendange ou le moût, on ne retarde pas un départ en fermentation alcoolique mais on inhibe, provisoirement du moins, la croissance des bactéries lactiques. L’effet du SO2 dépend toutefois de différents facteurs, tels que le pH mais il dépend également des souches de bactéries elle-mêmes.

L’utilisation de bactéries sélectionnées, à l’instar des levures sèches actives, permet une meilleure maitrise des flores actives dans le vin et limite le développement des bactéries indigènes. On sélectionne les souches à la fois sur leur gène « d’intérêt » mais aussi sur leur gène d’altération. Cela limite certaines déviations, notamment concernant la formation d’amines biogènes. Cela ne règle toutefois pas le problème des goûts de souris.

Le maintien d’un pH bas est également un moyen de prévention efficace. L’acidification « chimique » est parfois insuffisante pour régler un pH. L’acidification membranaire est un outil plus « puissant » de ce point de vue, mais aussi plus coûteux (et interdit en bio).

On trouve aussi dans la littérature un outil de prévention un peu paradoxal : l’acide lactique. En effet, il semble qu’une teneur supérieure à 3 g/L d’acide lactique inhiberait le développement des bactéries lactiques !

Enfin, comment ne pas insister sur l’importance d’un suivi analytique régulier… Le pointage de la teneur en acide lactique à la faveur de chaque contrôle de cave est devenu une pratique courante pour les œnologues conseil du laboratoire Natoli & Associés. Nous pouvons avoir recours au dosage de l’acide D-Lactique au besoin pour confirmer une contamination.

Pour boucler la boucle, on revient à Napoléon III avec une citation (parce que oui, on aime les citations !) : « On ne détruit réellement que ce que l’on remplace ». Pas sûr qu’il pensait à la gestion du microbiote œnologique en disant cela, mais ça s’applique plutôt bien au problème !