2022, Le millésime de demain

2022, Le millésime de demain

Contre toute attente, après un millésime viticole de tous les dangers, où nous avons guetté les accidents climatiques de toutes sortes, parfois même en subissant quelques orages de grêles ou feux en bordure de vignes, les vendanges et vinifications nous permettent un retour à une certaine « normalité » : par ses volumes tout d’abord, jamais pléthoriques mais qui retrouvent un niveau correct (il y a bien sûr des disparités). En France la récolte s’annonce à 44,1 MhL (dans la moyenne des 5 dernières années, source Agreste). En Languedoc, 12,56 MhL (9 % supérieurs à la moyenne, mais avec un 2021 « exceptionnel » à 9,67 MhL). Dans le Sud-Est 5,54 MhL (+12 % par rapport à la moyenne, après 4,79 MhL en 2021). Par l’absence d’aléa climatique majeur ensuite (il y a bien sûr des exceptions : orages de grêle dans le Pic-Saint-Loup le 24 juin, à Châteauneuf-du-Pape le 14 août,…). Si ce n’est un été long et caniculaire, présageant sans doute des évolutions climatiques à venir : des épisodes chauds et secs, plus longs et plus répétés, des précipitations très intenses, soudaines et hyper localisées.

Ces vendanges ont été plus atypiques dans leur déroulé : elles ont démarré comme annoncé très tôt, parfois tout début août, puis les maturités ont été plus lentes à se mettre en place, ponctuées par une météo très instable. Et elles se sont achevées comme souvent mi-octobre avec les cépages tardifs.

L’hétérogénéité (des volumes, des équilibres, des niveaux de concentration) est l’un des caractères que l’on retiendra de ce millésime, tout en paradoxes.

RETOUR EN ARRIERE SUR UN PRINTEMPS IDEAL…

Tout avait plutôt bien commencé… Certes l’automne 2021 a été plutôt sec, n’assurant pas les recharges des sols. Mais en Languedoc les pluies abondantes du mois de mars (entre 300 et 150 mm selon les secteurs, selon un gradient décroissant d’ouest en est) ont permis cette recharge.  La situation est différente dès le printemps dans la Vallée du Rhône, qui a peu profité de ces cumuls de pluie.

L’autre trait marquant de ce printemps est la douceur des températures : l’hiver n’a pas été froid, mais le printemps a été particulièrement chaud. Le mois de mai a été, dans toute la France, le plus chaud mesuré en France depuis 1981. Dans l’Hérault, il dépasse par exemple de 1,8 à 3,5°C les moyennes 2011-2020.

Relevé des températures moyennes – station LNA Puissalicon (34)

Le débourrement a démarré fin mars, et à partir du mois de mai nous avons assisté à un enchaînement très rapide des stades phénologiques. La floraison a été précoce et plutôt rapide, avec peu de coulure globalement, même sur les cépages habituellement sensibles ; en y ajoutant des sorties souvent généreuses sur les secteurs gelés en 2021 (et ils étaient nombreux), le potentiel de production était encourageant début juin.

SUIVI D’UN ETE TRES MEDITERRANEEN

C’était donc sans compter sur le long tunnel estival qui nous attendait… Le premier pic de températures, au-delà des 30°, est intervenu dès la mi-juin, et une longue période sèche et chaude a démarré, de manière quasi-continue jusqu’à la mi-août. Ce n’est pas dans le sud qu’ont été enregistrés les records de température cet été (on pense plutôt à la côte Atlantique), mais sur la durée, les semaines chaudes se sont succédées, entre des températures minimales moyennes autour de 25°, et maximales autour de 35°. L’écart à la moyenne est fréquemment de +2,5°C sur l’Hérault tout au long des mois de juin et de juillet (moyenne 2011-2020)

La situation début août nous faisait craindre les effets de concentration et/ou échaudage vus en 2019, voire en 2017. Mais la vigne a fait preuve d’une certaine forme de résilience, en s’accoutumant finalement assez tôt à ces chaleurs. Même si, quand même, les coteaux les plus secs sur certains cépages (roussanne, syrah) ont vu leurs grappes finir par sécher.

UNE MATURATION SOUS UNE METEO MAUSSADE

Le millésime a commencé à changer de visage à partir du 14 août et des premiers orages tant attendus. Tous les secteurs ont été arrosés cette fois ci plus à l‘est qu’à l’ouest (sauf le Faugérois peut-être) : 15-20 mm dans le Biterrois, souvent 50 mm ailleurs, même en vallée du Rhône. Ces pluies se sont malheureusement parfois accompagnées de grêle, comme à Châteauneuf-du-Pape le 14 août. Et avec des pics de presque 100 mm sur Arles, Valflaunès, Montpellier ou Aniane.

Une longue période instable, amenant presque chaque semaine sa dégradation « cévenole », s’est alors installée. Avec le retour des pluies début septembre (du 2 au 7) : jusqu’à plus de 200 mm sur le Montpelliérain, le sud du Pic-Saint-Loup. Dégradation de nouveau les 13 et 14 septembre, avec plus de 70 mm sur Alès, puis les 22 et 23 septembre (plus de 100 mm sur Carpentras et Orange, 80 mm dans le nord du Gard de nouveau). Avec quand même, pour une semaine à partir du 15 septembre, l’installation d’une période de temps sec, ensoleillé et venté, qui a permis de faire mûrir les zones tardives, ou les cépages tardifs, avec une montée plus rapide des degrés.

DES MATURITES HETEROGENES

Avec un début de véraison très précoce, on aurait pu s’attendre à des maturations rapides et des vendanges éclairs. Ce fut le cas pour les blancs précoces dont le chargement en sucre fut plutôt rapide. Mais s’agissant des cépages ou des secteurs plus tardifs, l’évolution des maturations s’est faite beaucoup plus progressivement. Selon les zones et les vignobles nous avons pu voir se conjuguer plusieurs comportements physiologiques, à des degrés toujours variables :

    • Stress hydrique important, contribuant au phénomène classique de concentration mais sans observation de défoliations très significatives. Les blancs précoces, les pinots, les chardonnays de coteaux, les syrahs peu chargées sont concernées. Ils ont été souvent vendangés avant le 15 août.
    • Stress thermique intense également, conduisant à une forte décharge potassique des feuilles vers les raisins, accentuant la perte d’acidité que les faibles valeurs d’acide malique nous ont réservée. Les contrôles de maturité ont permis de déceler très tôt ce phénomène particulier et ainsi d’anticiper la gestion des acidités sur moût. On notera des difficultés importantes à obtenir des maturités satisfaisantes sur les viogniers, souvent chargés, supportant mal ces chaleurs continues.
    • Par ailleurs, dès l’arrivée des premiers épisodes pluvieux, les températures plus fraîches ont été propices à de belles maturations des tanins, et à des aromatiques élégantes (c’est le cas des secteurs tardifs comme le Vaucluse par exemple). Mais elles ont aussi ralenti l’accumulation des sucres (sur les cinsaults, les syrahs par exemple).
    • La météo plus clémente au 15 septembre a enfin donné un coup de pouce bienvenu aux grenaches, aux mourvèdres (avec parfois un effet de concentration sucres/acidité dans les raisins). Les carignans et les cabernets, sont, comme les syrahs, restés à des degrés plus modérés, mais avec des maturités phénoliques plutôt bonnes.

 

DES PROFILS ANALYTIQUES PARTICULIERS

2022 ne sera donc pas in fine l’année des forts degrés comme on aurait pu le penser jusqu’au 15 août, excepté sur une bonne partie du Vaucluse et de la Provence (Châteauneuf-du-Pape, Gigondas, Ventoux, Coteaux d’Aix en Provence) en particulier). La moyenne restera toutefois très correcte.

Côté acidité, on a vu, surtout sur les premiers blancs, sur les merlots, les grenaches les taux d’acide malique chuter fortement à maturité (effet classique des étés chauds), avec parfois des valeurs à 0,2 g/l sur certains grenaches. Mais tout en maintenant des pH corrects à 3,40 – 3,50, de manière étonnante.

Dans les moûts, les teneurs en azote étaient plutôt élevées (elles reflètent bien le développement harmonieux et les bonnes assimilations minérales du printemps) : azote minéral comme organique. Ainsi, les fermentations alcooliques se sont déroulées globalement sans encombre.Un accompagnement technique et pragmatique

En revanche, il y a eu une forte pression de bactéries lactiques, avec des départs parfois sur moûts en débourbage ou en cours de fermentation alcoolique pour les blancs et rosés. La réduction des sulfitages sous le pressoir ainsi que des acidités faibles ont facilité leur développement ; la richesse des moûts en azote organique a pu jouer un rôle aussi. Les fermentations malolactiques se sont faites très vite sur rouge, notamment grâce aux températures particulièrement clémentes en octobre.

POUR QUELS PROFILS GUSTATIFS DES VINS ?

Sur les blancs et rosés, on a presque été surpris par la fraîcheur aromatique après les conditions chaudes de maturation : des thiols extravertis, parfois même sur des sauvignons de coteaux, peu ou pas de réduction pendant les fermentations (cf. azote des moûts), des typicités bien respectées. Avec un bémol sur les viogniers qui resteront quand même cette année sur des profils plutôt frais et floraux.

L’ensoleillement ardent a entraîné des pellicules épaisses sur les blancs et une coloration des baies : les moûts étaient colorés et parfois tanniques, rendant le travail sur les couleurs et les textures nécessaires en vinification.

Nous observons par ailleurs des évolutions fortes de ces teintes en cas de faibles couvertures SO2. Le risque de pinking semble fort cette année. Il faudra surveiller les cépages les plus sensibles : viognier, sauvignon notamment.

Sur les rouges, on est davantage sur le registre de fruits frais et de notes florales que sur les arômes confits. Ceci est étonnamment vrai en Vallée du Rhône, en particulier sur les grenaches malgré les TAV élevés.

Mais on est surpris quand même des maturités phénoliques, moins décalées par rapport aux degrés cette année : les syrahs même à 13°5 dépassent souvent les 70 d’IPT. Il a fallu bien travailler ensuite les marcs, pour harmoniser les jus. Les premiers degrés (souvent surestimés) ont en effet rarement été retrouvés après quelques jours de cuvaison, les baies moins mûres mettant du temps à libérer leur jus : cela reflète assez les hétérogénéités entre baies au cours de la maturation.

Nous retiendrons donc de ce millésime une très grande diversité de situations sur tout le bassin méditerranéen, et la difficulté à faire ressortir une caractéristique commune. Elle est la conséquence des épisodes climatiques très variables, d’un secteur à l’autre, davantage même que les années précédentes. En ce sens, 2022 pourrait présager des années à venir…

A ce jour, les dernières fermentations se terminent sagement, les derniers décuvages se négocient. Il faudra pourtant que les vins soient prêts très tôt cette année compte tenu de la tension du marché (notamment sur les blancs). Les premiers rendez-vous d’assemblage ont démarré…